Auto-écoles en ligne : enfin rentables ?

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Auto ecole en ligne enfin rentables

La semaine dernière En Voiture Simone annonçait dans un communiqué de presse avoir fait un bénéfice pour la première fois de son histoire. Au cours de ces 10 dernières années, PermisMag a consacré de nombreux articles sur les plateformes. Nous avons critiqué la concurrence déloyale pratiquée par certaines d’entre elles et leurs méthodes de communication problématiques, à grand renfort de chiffres mensongers.

Dix ans plus tard, force est de constater que ces plateformes sont toujours là et qu’elles n’ont pas cessé de gagner des parts de marché. Ceux qui prédisaient leur disparition prochaine en sont pour leurs frais.

Loin de toute polémique, alors qu’une énième réforme du permis est en préparation, il nous apparaît aujourd’hui intéressant de faire un bilan sur le poids réel de ces nouveaux acteurs en compilant l’ensemble des chiffres publics.

12% du chiffre d’affaires, 15% des clients ?

Le marché de l’enseignement de la conduite représente chaque année 2,1 milliards d’euros (source étude Xerfi Le marché des auto-écoles (2021)). Un chiffre qui prend en compte les formations de la catégorie A et du groupe lourd. Le permis B seul, représente un CA annuel compris entre 1,5 et 1,6Mds€.

Qu’elles soient cotées en Bourse ou non, les principales plateformes publient chaque année leurs chiffres d’affaires.


CA 2024 Rentable ? Sources
Ornikar 100m€, dont :
– 80m€ sur l’auto-école
– 20m€ sur l’assurance
Non rentable. Serait rentable sur l’auto-école, mais pas sur l’assurance (invérifiable) Le Big Data
Stych 50m€ Rentable Interne
En Voiture Simone 30m€ Rentable Maddyness
Lepermislibre 13,1m€ Non rentable Boursorama

Ces acteurs pesaient, à eux quatre, 173 millions d’euros en 2024. Des acteurs plus petits : La Bonne Allure, Cheelo, Moniteurindependant.fr réalisent des chiffres d’affaires moins importants.

En cumulé, on estime le chiffre d’affaires des plateformes aux alentours des 180m€, soit entre 11% et 12% du chiffre d’affaires du secteur.

Raisonner en chiffre d’affaires donne une idée relativement imprécise du poids réel de ces acteurs car ces derniers pratiquent des tarifs plus bas que les auto-écoles traditionnelles. Si l’on prend en compte que les acteurs en ligne sont 15% à 20% moins chers que les acteurs traditionnels (chiffres avancés dans le rapport Dumas de 2019), cela signifie que les plateformes inscrivent et forment (en partie du moins) entre 14% et 15% des élèves, soit environ 150 000 élèves par an, en cumulé.

Les chiffres de la DSR en trompe-l’œil

On lit et on entend parfois des chiffres farfelus. Les auto-écoles en ligne ne formeraient que « 7% des candidats » et seraient marginales. Ce chiffre de 7%, repris dans la presse généraliste, a été communiqué en off par la DSR aux représentants des organisations professionnelles. Il correspond d’une part aux remontées d’heures sur le livret numérique et d’autre part au nombre d’examens effectués ces derniers mois (les deux coïncident, ce qui est normal).

Ce chiffre ne reflète pas la réalité du terrain, pour au moins trois raisons :

  1. il ne prend pas en compte le fait que de nombreux élèves commencent leur formation sur les plateformes et qu’ils se réorientent vers les auto-écoles traditionnelles à l’issue des 20 premières leçons ;
  2. il ne prend pas en compte que les élèves des plateformes font en moyenne moins de leçons que les élèves en école de conduite traditionnelle (avec les taux de réussite qui vont avec) ;
  3. enfin, il ne prend pas en compte l’« effet retard ». Les élèves qui s’inscrivent sur les plateformes ne sont pas forcément les plus motivés. Les inscriptions d’aujourd’hui ne se reflèteront dans les chiffres que dans 12 à 18 mois…

Ces erreurs d’appréciation et d’analyse des données sont problématiques. La DSR qui doit mener, dans les semaines à venir, une vaste étude statistique devra impérativement mettre à disposition du grand public les données brutes pour éviter que ces erreurs d’interprétation ne se reproduisent et qu’elles viennent influer sur les mesures proposées. Il faut poser le bon diagnostic pour combattre efficacement une maladie…

Une marge de progression et un plafond de verre

De manière indéniable, la mise en place de RDVPermis a servi d’accélérateur au développement des plateformes. Elles ne s’en cachent pas. Pour Édouard Rudolf le co-fondateur d’En Voiture Simone, « C’est un système très juste. Depuis, notre croissance a significativement augmenté ».

En étant réaliste, il est probable que cette croissance se poursuive dans les années à venir. En dehors d’Ornikar, les plateformes sont surtout présentes dans les grandes villes. Selon les chiffres publiés sur la Carte des auto-écoles, en Île-de-France, les auto-écoles en ligne représentent déjà 10,5% des examens. En Gironde, 17% des examens, à Toulouse 18,3%… mais seulement 8,5% dans le Rhône, 2,6% en Meurthe-et-Moselle et 3% dans le Pas-de-Calais.

Elles ont donc une forte marge de progression. Les auto-écoles en ligne font un effort de maillage territoriale, avec l’ouverture de points de rendez-vous et l’implantation dans de nouvelles villes. Il est inéluctable que leur part de marché continue à progresser.

Jusqu’à quel point ? Difficile à dire, car il est également probable qu’elles atteignent à un moment donné un « plafond de verre » au-delà duquel elles cesseront de croître. Soit parce qu’il ne sera pas économiquement rentable pour elles de se s’implanter dans des petites villes, soit parce que les élèves préfèreront payer légèrement plus cher pour une formation de meilleure qualité en auto-école traditionnelle.

Lepermislibre, maillon faible des plateformes ?

Le logo de Lepermislibre est rose, la réalité de ses comptes l’est moins ! Contrairement à ses concurrents, la start-up lyonnaise enchaîne les revers depuis son introduction en Bourse il y a deux ans.

L’entreprise ne s’est jamais remise de mauvais choix marketing et des réformes sur le CPF (qui représentait en 2022 près des 2/3 de son chiffre d’affaires). Le cours de Bourse a été divisé par 12 depuis son introduction. Pire, son chiffre d’affaires chute lourdement l’an dernier, il passe de 16,7m€ en 2023 à 13,1m€ en 2024, soit une baisse de 22%. Des pertes qui se creusent encore au 1er trimestre 2025, puisque le CA recule cette fois de 36%.

Même si elle n’est pas acquise, la défaillance d’un des principaux acteurs en ligne renverrait une image catastrophique des plateformes. Sans parler des dizaines de milliers d’élèves qui seraient impactés.

Rentabilité ne veut pas dire qualité !

Le fait que certaines plateformes soient rentables ne signifie qu’une chose : elles ont trouvé un modèle économique viable. Cela ne signifie pas qu’elles délivrent des formations de qualité aux élèves !

Leurs taux de réussite sont désormais publiés sur la Carte des auto-écoles. Ils sont en hausse, mais restent inférieurs aux taux de réussite des écoles de conduite de proximité. Les taux des auto-écoles en ligne sont aux alentours de 50%, soit 5 à 6 points inférieurs à la moyenne nationale.

Que retenir ?

Ces chiffres doivent nous permettre de tirer plusieurs enseignements.

  • Les écoles de conduite traditionnelles et les plateformes sont amenées à coexister dans les années qui viennent. Les plateformes ne « tueront » pas les auto-écoles classiques. Désormais rentables, pour certaines d’entre elles, elles ne sont pas prêtes de disparaître.
  • Qualité vs. prix d’appel. Chaque acteur a des atouts et doit capitaliser dessus. Les plateformes communiquent sur leurs tarifs car c’est leur « atout » majeur. Aux écoles de conduite traditionnelles de continuer à proposer des formations de qualité et à communiquer plus activement dessus.
  • Le marché va continuer à se réorganiser. Il est probable que ces nouveaux acteurs tendent vers 20-25% de parts de marché à long terme (d’ici 10 à 15 ans). Les écoles de conduite traditionnelles doivent continuer à s’adapter, comme elles le font depuis 10 ans. Pour cela, elles doivent continuer à innover, à se digitaliser… et peut-être à se regrouper soit en rejoignant des réseaux, soit en se regroupant au sein de structures plus importantes !

3 Commentaires

  1. Les taux de réussites cumulés des plate-formes sur Toulouse sont bien inférieurs à la moyenne départementale ( source BER)!
    Heureusement qu’ils font du e-learning !!!
    Quand on parle avec les enseignants de ces entités, ils se moquent totalement des taux de réussites. « On fait ce que veut le client, le reste ça nous regarde plus… s’ils veulent passer ils passent, c’est pas notre problème et on a plus la pression des patrons et des résultats sur les épaules… »
    État d’esprit largement partagé par les enseignants des plates-formes!
    C’est catastrophique et ça pénalise l’ensemble de la profession qui cherche des places.
    Les IPCSRS se plaignent de ne même pas faire 500 mètres sans régulièrement ajourner les candidats tellement le niveau est faible!
    A compter du premier juin les auto-entrepreneurs vont être soumis à la TVA à partir de 25000 euros.
    Pas certain que ce soit très rentable pour ces indépendants et il se pourrait bien que cela rabatte complètement les cartes en terme de tarifs!
    L’attractivité financière des plates-formes n’aura plus du tout la même valeur et quand on voit la qualité de leurs formations et l’implication de leurs indépendants, elles ne feront plus du tout le poids face aux écoles de conduites traditionnelles.
    Enfin nous verrons bien.
    L’important dans tout ce micmac reste la sécurité routière et je ne suis pas certain que tous les acteurs y soient sensibles…

    • Bonjour Bruce, tout ce que vous dites est sûrement vrai ! Mais l’objet de l’article n’était pas de parler de la qualité de leurs formations. Nous pointons uniquement le fait que la majorité de ses plateformes se disent désormais rentables et qu’elles ont trouvé leur modèle économique (aussi discutable soit-il!). Bonne journée,

  2. Sauf que le système plateforme/moniteur indépendant est loin de respecter la notion d’indépendance des moniteurs. Plus on avance plus les plateformes imposent des contraintes aux indépendants. Nombre d’heures minimum, obligation de sélectionner plusieurs centres d’examen même si le moniteur ne veut pas aller à 50km de son point de rdv, le prix c’est eux qui le fixe, quand le moniteur n’ouvre pas assez son planning il est remercié sous un prétexte fallacieux. Faudrait pas mettre cette raison vous comprenez. Y a plein de raisons de les contrôler et de les sanctionner mais ils sont protégés.

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