Dans un communiqué de presse diffusé lundi 16 janvier, Lepermislibre (qui s’écrit désormais en un seul mot) annonçait son projet d’introduction en bourse sur Euronext Growth® Paris, un marché de cotation de référence des PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire), suite à l’approbation de Document d’enregistrement par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).
En agissant ainsi, Lepermislibre cherche à réunir des fonds auprès du grand public pour permettre de continuer à financer sa croissance. C’est du moins l’histoire qui est vendue aux investisseurs. La réalité pourrait être légèrement différente…
Des ambitions de conquête
Lucas Tournel et Romain Durand, co-fondateurs de Lepermislibre, déclarent vouloir « devenir leader français de l’enseignement de la conduite en ligne »… et dépasser Ornikar (qui réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires trois fois supérieur, NDLR) !
L’entreprise, qui se décrit comme « pionnier de l’auto-école en ligne en France » entend axer son développement autours de trois axes
- Accélération de la notoriété nationale avec une intensification des actions de communication en 2023 ;
- Densification du maillage géographique aux villes de moins de 50 000 habitants où Lepermislibre n’est pas ou peu présent ;
- Enrichissement et diversification de l’offre autour de l’innovation produits, de la valorisation de la data, de la promotion de la conduite écoresponsable et de l’assurance.
Dans son communiqué, Lepermislibre annonce vouloir « lancer fin 2023 une offre d’assurance en propre intégrant le potentiel de la data dans le ciblage des conducteurs, en partenariat avec un acteur majeur du secteur. » Lepermislibre prendrait ainsi, avec deux ans de retard, la même orientation qu’Ornikar en pivotant vers l’assurance… Pour l’innovation, il faudra repasser !
Des chiffres gonflés ?
Les « nouveaux acteurs » de l’enseignement de la conduite ont toujours eu du mal avec les chiffres. PermisMag a eu l’occasion de le montrer à plusieurs reprises. Lepermislibre ne semble pas échapper à la règle. Sur l’espace dédié aux investisseurs (https://investir.lepermislibre.fr/), l’entreprise avance des chiffres surprenants :
- « 360 000 candidats inscrits » : une note de bas de page précise « Candidats inscrits au code de la route et au permis B, dont 165 000 candidats engagés financièrement ». Lepermislibre mélange la création de comptes gratuits et l’inscription effective. Près de 40% des inscrits n’ont rien payé, quant aux autres ils n’ont pour la plupart acheté qu’un accès code en ligne. Lepermislibre oublie également de préciser que ces chiffres correspondent à la somme des créations de comptes réalisés depuis que l’entreprise a l’agrément (il y a un peu moins de 10 ans).
- « 900 enseignants fidélisés » à fin novembre 2022. Là encore, les chiffres semblent loin de la réalité. Pour aboutir à ce chiffre, Lepermislibre comptabilise les « enseignants dont le contrat de prestation de services est en vigueur »… alors que ces enseignants sont indépendants et qu’ils travaillent simultanément pour plusieurs plateformes. L’entreprise ne communique pas sur son nombre d’ETP… ce qui est devenu la norme avec RDVPermis.
- Un « prix 30 % moins cher qu’en auto-école traditionnelle ». Des chiffres déjà utilisés par Ornikar et maintes fois démentis. Lepermislibre ressort une étude UFC-Que Choisir de 2016. Le rapport Dumas parlait d’un écart de prix, permis en main, de moins de 15%…
- Une activité d’assurance « depuis 2021 » mise en avant sur le site internet de l’entreprise. Cette activité d’assurance ne représenterait en 2022 qu’un chiffre d’affaires d’environ 1000€, selon les informations communiquées aux futurs investisseurs (soit 0,006% du chiffre d’affaires actuel de l’entreprise).
Ces chiffres, mis en avant auprès des investisseurs potentiels, sont problématiques et présentent une version pour le moins contestable de la réalité.
Des indicateurs financiers en trompe l’œil
Un chiffre d’affaires en hausse
L’entreprise communique également sur ses données financières. Celles-ci sont auditées et leur communication est plus « encadrée ». Depuis 2019, le chiffre d’affaires de Lepermislibre a été multiplié par 9. La période post-covid est particulièrement propice puisqu’en 2021, le chiffre d’affaires bondit à 12,2m€ (contre 4,3m€ en 2020), soit une hausse de 187%.
En 2022, la croissance ralentie fortement puisque le chiffre d’affaires ne progresse « que » de 21%, passant de 12,2m€ à 14,8m€ (chiffre non audité).
Des dépenses qui explosent
En 2021, le coût d’acquisition s’élevait à 919k€. Il s’agit des sommes investies par l’entreprise en marketing et communication. En 2022, ces coûts explosent et passent à 3,2m€ (estimation).
Concrètement, en 2022, Lepermislibre a déboursé 2,25m€ en publicité pour pouvoir générer 2,6m€ de chiffre d’affaires supplémentaire. Chaque euro de chiffre d’affaires supplémentaires coûtant à l’entreprise 82 cents. Des coûts qui semblent donc bien loin d’être « encadrés »…
Une très forte dépendance au CPF
Autre information intéressante : Lepermislibre annonce que 66% de son chiffre d’affaires de 2022 a été réalisé grâce au CPF. Un ratio bien plus important que celui constaté dans la majorité des auto-écoles dites « traditionnelles » et qui traduit une très forte dépendance à ce type de financement.
Depuis quelques semaines, le gouvernement semble vouloir limiter l’utilisation du CPF, que ce soit en interdisant le démarchage, en mettant en place un reste à charge et en complexifiant l’inscription avec France Connect+.
Même si l’entreprise tente de minimiser le risque, ces évolutions devraient peser lourdement sur la croissance future de l’entreprise.
Une entreprise moins solide qu’il n’y paraît ?
La communication autour du projet d’introduction en Bourse a été travaillée par une agence de communication financière spécialisée, Actifin. Lepermislibre propose une belle histoire et des perspectives de croissance importantes. L’entreprise envisage de réaliser un chiffre d’affaires de 45m€ à l’horizon 2025.
La réalité pourrait être différente et certains éléments objectifs laissent penser que l’introduction en Bourse de Lepermislibre répond à un autre objectif :
- Neuf ans après son lancement Lepermislibre n’est toujours pas rentable. En 2021, l’entreprise affichait un EBITDA (excédent brut d’exploitation, en français) de -575 K€. Au premier trimestre 2022, son EBITDA était de -1,650m€… (soit -3,3m€ sur une année pleine). En 2022 et 2023, l’entreprise devrait continuer à être déficitaire… pour éventuellement atteindre la rentabilité en 2024.
- Contrairement à ses concurrents directs, l’entreprise a levé relativement peu d’argent auprès des investisseurs. Lepermislibre n’a levé « que » 6,7m€, contre environ 100m€ pour Ornikar. Les données pour Stych et En Voiture Simone ne sont pas connues.
- Pour continuer à afficher des chiffres en croissance, Lepermislibre est obligé d’investir massivement dans la publicité et ses coûts d’acquisition explosent.
- Un fort ralentissement des financements CPF, principale source de revenue de l’entreprise, au quatrième trimestre 2022, avec une baisse de 35-40% des montants financés par la Caisse des dépôts et consignations en novembre et en décembre.
- Un marché du private equity (investissement dans des entreprises non-cotées) en chute libre, en particulier pour les entreprises technologiques. Les fonds d’investissement étant particulièrement attentifs aux conditions macroéconomiques (inflation, remontée des taux monétaires, guerre en Ukraine) et plus sélectifs sur leurs investissements.
L’introduction en Bourse comme solution de secours ?
Un autre scénario possible se dégage. Et si l’introduction en Bourse ne servait pas à poursuivre des objectifs de croissance ambitieux mais plutôt à sauver une entreprise qui n’a plus qu’un an de trésorerie ? Une estimation fournie par Lepermislibre dans son document aux investisseurs.
Après avoir réalisé un déficit de 0,5m€ en 2021 et 2-3m€ (est.) en 2022, Lepermislibre doit trouver de nouvelles sources de financement.
Début 2022, les capitaux propres de l’entreprise sont brièvement négatifs. Les 5,5m€ levés en février de la même année auprès de Nexstage AM et Eiffel Investment Group permettent de remplir les caisses mais ont déjà été en partis dépensés. L’entreprise est endettée à hauteur de 3,2m€ auprès d’un pool de 3 banques pour financer son fonds de roulement (décalage entre le paiement des enseignants et l’encaissement des fonds auprès de la CDC).
Sans entrée d’argent frais (nouvelle levée de fond ou introduction en Bourse), l’entreprise s’expose à des difficultés à l’horizon d’un an.
Les fonds d’investissements à la manœuvre
Dans un deuxième communiqué de presse, en date du 25 janvier, Lepermislibre apporte des précisions sur les contours de l’opération. L’entreprise cherche, avec cette introduction en Bourse, à lever 8 millions d’euros (soit 2 088 712 actions au cours indicatif de 3,83€). Une somme relativement modeste pour une introduction en Bourse.
Lepermislibre indique également que deux fonds déjà actionnaires ont acceptés de s’engager à souscrire à hauteur de 66% du montant de l’offre (soit 5,3m€) :
- 3,8m€ pour Eiffel Investment Group ; et,
- 1,5m€ pour NextStage AM.
Les clauses liées à ces engagements de souscriptions sont inconnues. S’agit-il d’engagements fermes et irrévocables ou sont-ils conditionnés à d’autres évènements ?
S’ils sont fermes, ces engagements peuvent être perçus de deux manières diamétralement opposées. Certains pourraient y voir une marque de confiance de la part d’investisseurs existants souhaitant monter au capital d’une entreprise dans laquelle ils croient. D’autres pourraient y voir la volonté pour ces fonds d’investissement de réaliser une plus-value rapide une fois l’introduction réalisée, avec la revente de leurs titres à des particuliers…
Cette deuxième option n’est pas à exclure d’autant que Lepermislibre organise actuellement un roadshow (tournée) auprès d’investisseurs particuliers et de business angels en région lyonnaise.
Il pourrait également s’agir d’une marque de soutien destinée à rassurer les petits investisseurs qui seraient tentés d’acheter des actions.
Les analystes mitigés
Un grand nombre de médias « paresseux » se sont contentés de reprendre le communiqué de presse avec peu ou pas d’analyse financière de l’opération. Un article fait exception, paru dans la rubrique « Investir » des Échos (article réservé aux abonnés). Il commence ainsi : « L’idée est séduisante. Elle le serait encore plus si elle était rentable. » Derrière cette litote, la journaliste conseille aux lecteurs du journal financier de « ne pas souscrire » à l’introduction en bourse de la start-up.
L’article se termine ainsi : « le modèle est intéressant, mais, compte tenu de l’environnement de marché et de l’absence de profit avant 2025, nous restons prudents »
La suite…
Lepermislibre a annoncé son projet d’introduction en Bourse. Elle devrait avoir lieu le 13 février. Il s’agit de la première étape. L’accueil qui sera réservé par les investisseurs à ces titres sera la grande inconnue…
Si l’introduction en Bourse se révèle être un échec, soit que les actions ne sont pas souscrite par le public, soit que le cours de Bourse s’effondre dans les semaines qui suivent. Lepermislibre ne disposera que de quelques mois pour trouver une solution de repli : soit lever des fonds auprès de nouveaux investisseurs privés, soit réduire drastiquement ses coûts de fonctionnement.
Précisions :
L’ensemble des chiffres présents dans cet article sont fournis par Lepermislibre, soit dans son communiqué de presse, soit dans l’espace investisseur : https://investir.lepermislibre.fr/.