Depuis la fin janvier, la Délégation à la Sécurité routière (DSR) a mis en ligne sa « carte des auto-écoles ». L’objectif affiché est d’aider les futurs candidats à choisir leur auto-école en toute transparence. Problème : un comparateur se doit d’être objectif et de présenter des informations fiables. La carte produite par la DSR n’est ni objective, ni fiable. Des correctifs doivent être apportés sans quoi l’outil sera décrédibilisé. Analyse de la situation.
Le rapport Dumas et la carte des auto-écoles
L’origine de cette carte remonte au rapport Dumas, rédigé par l’ancienne députée du Gard et remis au gouvernement au printemps 2019. La création de cette carte fait partie des 10 mesures retenue pour « faire baisser le prix du permis de 30% ».
À l’été 2021, une première carte est mise en ligne. Cette dernière ne référence alors que les auto-écoles labellisées. Un an et demi plus tard, en janvier 2023, la carte évolue et comprend désormais toutes les auto-écoles de France (ou presque).
Cette carte est accessible à l’adresse suivante : https://autoecoles.securite-routiere.gouv.fr/#/.
Le fonctionnement de l’outil
La « carte des auto-écoles » permet aux internautes de trouver les auto-écoles situées à proximité d’un lieu donné. Ils ont la possibilité de filtrer par type de formation (permis auto, permis moto et permis poids lourd) et d’entrer le nom d’une ville.
Une fois la recherche effectuée, ils ont accès à une liste d’auto-écoles sur la gauche de l’écran, ainsi qu’une carte avec des pictogrammes matérialisant les auto-écoles sur la droite. Il s’agit là du fonctionnement classique d’un comparateur.
Les auto-écoles labellisées sont distinguées des autres grâce à un macaron jaune. Lorsque l’internaute sélectionne « Afficher cette auto-école », il accède à des informations supplémentaires : le numéro d’agrément de l’auto-école, les permis disponibles, ainsi que les taux de réussite de l’auto-école et le taux de réussite moyen du département.
Une carte, de nombreuses lacunes
Des informations datées
Le premier reproche que l’on peut faire à cette carte est qu’elle n’est pas du tout à jour. Sur la page d’accueil figure la mention suivante :
Les mentions légales
Cela signifie, au moment où nous écrivons ces lignes, que les informations qui figurent sur le site du Ministères ont été mises à jour il y a 2 mois, sur la base d’informations vieilles de 4-5 mois. Autant dire une éternité, à l’ère du numérique…
Pendant ce laps de temps, des centaines d’auto-écoles ont ouvert leurs portes et des centaines d’autres ont fermé. Pour les auto-écoles qui viennent d’ouvrir il s’agit d’un vrai préjudice car c’est au lancement qu’elles ont le plus besoin de visibilité. Leur absence sur la carte pourrait inciter les élèves à se tourner vers d’autres auto-écoles établies depuis plus longtemps.
De la même façon, certaines auto-écoles fermées depuis plusieurs années figurent toujours sur la carte.
Des auto-écoles fermées depuis plusieurs années
On voit ici l’exemple d’une auto-école (Auto-école Port Royal) qui est fermée depuis 3 ans et qui figure au-dessus de l’auto-école qui a pris sa suite (Excellence Conduite). Dans ce cas précis, l’élève trouvera à cette adresse une auto-école pour le former. D’autres auront moins de chance et pourront se déplacer pour rien…
Des informations lacunaires
Par ailleurs, l’absence de mise à jour est problématique et cause un vrai préjudice aux écoles de conduite. Le site de la Sécurité routière étant édité par le Ministère de l’Intérieur, certains organismes prennent les informations qui y figurent pour argent comptant.
Serge Berthenet, gérant de l’auto-école Permis B à Cherbourg l’a appris à ses dépends lorsque le Crédit agricole lui a refusé une convention Permis à 1€ par jour au motif que son auto-école n’était pas labellisée et qu’elle ne pouvait donc pas proposer le permis à 1€ par jour. Une situation ubuesque alors que son auto-école a été la première à se labelliser dans le département de la Manche, en juin 2018. Il ajoute : « j’ai alerté la préfecture et la DDTM 50 à plusieurs reprises mais rien n’y fait ! Combien d’élèves vais-je perdre à cause de leur manque de professionnalisme ? Faut-il que je saisisse le tribunal administratif pour faire bouger les choses ? »
Un site encore en version Bêta ?
Un message d’avertissement sur la page d’accueil du site précise que « Le site de la carte des auto-écoles est actuellement en version Bêta, le temps que la plateforme RDV Permis soit déployée sur tout le territoire ».
En effet, seules les auto-écoles qui utilisaient RDVPermis depuis plus de 3 mois au 31/10/2022 ont leur taux de réussite affichés. Les autres écoles de conduite n’ont pas de taux affichés.
On utilise le terme « version Bêta » en informatique pour désigner une version d’essai, destinée à un public restreint avant un lancement publique. Visiblement, les services du Ministère ont décidé de passer outre et de mettre en ligne le site non finalisé.
Des données inconsistantes
Les informations présentes sur le site sont datées, elles sont incomplètes, mais ce n’est pas tout… Une rapide recherche permet de détecter d’autres problèmes qui rendent la recherche d’auto-école plus compliquée.
Des auto-écoles sont mal placées sur la carte. Ainsi, lorsqu’un élève cherche une auto-école à Paris, les auto-écoles qui apparaissent en 2ème et 3ème position sont l’auto-école 4L CONDUITE, située à Acoua (Mayotte) et l’DAC AUTO-ECOEL (sic), située en Gironde. Autant dire que ces informations n’intéressent pas les candidats parisiens et qu’à l’inverse, ces auto-écoles ne sont pas visibles auprès des candidats mahorais et girondins.
Des auto-écoles mal positionnées
Des auto-écoles figurent en doublon ou en triplon. Les bases de données du Ministère étant mal entretenues (c’est un euphémisme), certaines auto-écoles ayant changé d’agrément ou de gérant figurent plusieurs fois sur l’annuaire, sous le même nom ou sous des noms différents.
Des auto-écoles en double
Les noms des auto-écoles sont mal orthographiés. Il n’y a aucune cohérence sur l’orthographe des noms des établissements. Certains apparaissent sous leur dénomination sociale et non pas sous leur nom commercial. C’est le cas des agences de l’Auto-école Marietton, une des plus anciennes auto-écoles de Lyon. Elle apparaît sous le nom CERRA, un nom inconnu du grand public.
Des auto-écoles référencées avec leur dénomination sociale
Les exemples à ce sujets sont nombreux : Auto-école Mayet apparaît sous le nom « AE Mayet », Stych apparaît sous le nom Auto-ecole.net (alors que le changement de nom a bientôt 2 ans), etc…
Des auto-écoles mal orthographiées
Les concepteur du site ont même réussi le tour de force d’écrire différemment le nom de deux agences appartenant à une même structure.
Des données trompeuses
La carte des auto-écoles se veut être un outil d’« aide à la décision », qui permet aux futurs candidats de s’inscrire en toutes connaissances de cause. Dans les faits, l’outil trompe les candidats plus qu’autre chose. Les informations sont tellement lacunaires que ça en devient ridicule. Ainsi, si l’on fait une recherche sur Paris et que l’on coche le filtre « Permis à 1€ par jour », on obtient 3 résultats (dont 2 auto-écoles qui ne sont pas à Paris)…
Permis à 1€ par jour à Paris
Autre élément qui est mis en avant pour la comparaison : les taux de réussite. Dans les départements où RDVPermis a été déployé, la carte des auto-écoles fournit les taux de réussite des écoles de conduite et les compare aux taux de réussite du département. Petit problème : aucune information n’est disponible sur le nombre de candidats présentés, ni sur la période concernée…
Une auto-école qui présente 5 candidats sur la période et qui a 80% de réussite sera comparée avec une auto-école qui en présente 50 sur la même période. Tout le monde sait qu’il est statistiquement plus compliqué de maintenir un taux élevé sur un volume de candidats plus important. Comparer les taux sans comparer les volumes est une aberration.
Par ailleurs, les données semblent recouvrir une période de 4 mois (du 01/08 au 31/10/2022). Ces informations sont donc fournies sur une temporalité différente de celle exigée dans le cadre du label de qualité (12 mois glissants). Des écarts pourraient apparaître entre les informations présentées sur la carte et celles affichées dans les agences… Les gérants devront expliquer aux candidats (et aux inspecteurs venant les auditer) les raisons de ces écarts.
Un comparateur qui ne respecte pas la réglementation ?
Depuis le décret du 22 avril 2016, les comparateurs sont soumis à des règles. Ces règles ont été intégrées aux articles D111-6 et suivants du code de la consommation. Ils sont rappelés sur le site du Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique. Il semblerait que le comparateur mis en ligne par la DSR s’affranchisse assez largement de ces obligations.
En l’occurrence, le site doit disposer d’une rubrique qui détaille le fonctionnement du comparateur en ligne. Cette rubrique doit être directement et facilement accessible à partir de toutes les pages du site. Elle doit indiquer les informations suivantes.
Informations à indiquer | Commentaire PermisMag |
Les critères de classement des offres de biens et de services | ❌ Ces informations ne sont pas indiquées. A priori les auto-écoles sont classées par distance croissante par rapport à un point géographique donné… Il s’agit d’une supposition car ce n’est précisé nulle part. |
Les éventuelles relations contractuelles ou les liens financiers que le comparateur entretient avec les professionnels qui délivrent les biens ou les services disponibles sur le comparateur. | ❌ Ces informations ne sont pas indiquées. C’est problématique, notamment lorsque l’on sait que l’Etat détient une participation de plus de 10m€ dans Ornikar via la BPI et que les auto-écoles en ligne figurent en tête de liste. |
L’existence ou non d’une rémunération du site par les professionnels référencés et l’impact de celle-ci sur le classement des offres (le caractère publicitaire doit faire apparaitre la mention du mot « Annonces ») | Non applicable. Le référencement sur la carte est gratuit. |
Le détail des éléments constitutifs du prix et la possibilité que des frais supplémentaires y soient ajoutés | Non applicable. Les tarifs des auto-écoles référencées ne sont pas mentionnés. |
La variation des garanties commerciales selon les produits comparés | Non applicable. |
Le caractère exhaustif ou non des offres de biens ou de services comparées, ainsi que le nombre de sites ou d’entreprises référencés | ❌ Ces informations ne sont pas indiquées. Le nombre d’auto-écoles référencées n’est pas communiqué et le caractère non exhaustif du site n’est pas précisé. |
La périodicité et la méthode d’actualisation des offres comparées. | Ces informations sont partiellement indiquées. La périodicité annoncée est trimestrielle. La méthode d’actualisation n’est pas mentionnée. |
Sur les 7 critères : 3 ne sont pas respectés, 1 est partiellement respecté et les 3 autres ne sont pas applicables.
Autre aspect, certes anecdotique, mais également problématique. Les concepteurs du site ont eu recours aux services d’une entreprise de cartographie américaine (Mapbox) pour l’affichage des auto-écoles sur la carte. Le paramètrage ayant été mal fait, les noms de certains lieux (arrondissements, espaces verts, établissements d’enseignement) s’affichent en anglais. Il s’agit là d’une entorse à la loi Toubon de 1994, qui demande aux administrations de limiter le plus possible l’utilisation de l’anglais.
Si la carte des auto-écoles était éditée par une entreprise privée, la DGCCRF y trouverait certainement à redire. Malheureusement, ce n’est pas la première fois que l’État ne respecte pas les règles qu’il édicte…
Les auto-écoles en ligne avantagées
Dernier point, et pas des moindre, la carte des auto-écoles affiche systématiquement les auto-écoles en ligne en tête de liste, quel que soit l’endroit où l’élève fait sa recherche et y compris dans des secteurs ou ces auto-écoles ne sont pas présentes.
Les auto-écoles en ligne mises en avant
Les auto-écoles en ligne figurent dans un encadré jaune qui reste visible en permanence lors de la recherche. Elles bénéficient d’une visibilité accrue par rapport aux écoles de conduite de proximité.
Pour Nicolas Grumberg, le directeur général de VroomVroom.fr, « que cela ait été fait consciemment ou pas, placer les auto-écoles en ligne à cet endroit leur donne une visibilité très importante. Une personne qui ferait une recherche se verra proposer les auto-écoles en ligne, par défaut et en premier. Google fait payer les entreprises qui le souhaitent pour se retrouver en première position sur les résultats de recherche, ça s’appelle Google Ads. Le Ministère offre ce service aux auto-écoles en ligne, mais pour elles c’est gratuit… ».
Lien direct vers leurs sites internet
Un autre aspect problématique est le fait que ces auto-écoles en ligne possèdent toutes un lien direct vers leur site internet. Non seulement elles ont plus de visibilité sur la carte mais en plus cette dernière redirige les candidats vers leurs sites internet respectifs, alors que ce n’est pas le cas pour les auto-écoles de proximité. Par ailleurs, un lien direct (sans balise « no-follow ») émanant du site du Ministère de l’Intérieur aura un impact positif en termes de référencement naturel sur Google.
La carte des auto-écoles présente donc, à plusieurs égards, des biais favorisant les auto-écoles en ligne, au détriment des auto-écoles de proximité. Ces biais sont-ils volontaires ? Probablement pas ! Pour lever tout soupçon, il est indispensable qu’ils soient corrigés rapidement.
Que retenir ?
Fournir une information transparente et à jour aux candidats pour qu’ils s’inscrivent dans une auto-école en toute connaissance de cause est quelque chose de souhaitable, mais lorsque l’outil mis à disposition du grand public présente autant de lacunes et de biais, il est nécessaire de s’interroger.
Des sites privés, tels que VroomVroom.fr fournissent davantage d’informations à destination des futurs candidats et disposent de bases de données plus à jour. Pour Nicolas Grumberg, « le Ministère s’est lancé dans un chantier qu’il ne maîtrise pas. Chez VroomVroom nous savons ce que c’est que maintenir un comparateur d’auto-école, nous le faisons depuis plus de 10 ans. Madame Dumas n’a pas inventé l’eau tiède avec sa carte des auto-écoles. Elle s’est inspirée de ce que nous faisions et a demandé à l’État de faire la même chose, mais en moins bien. »
Et il ajoute, « nous avons été reçu à Matignon par les conseillers d’Édouard Philippe avant la publication du rapport. L’idée de carte circulait déjà et nous avions proposé de mettre notre savoir-faire à disposition du Ministère. On m’a répondu poliment qu’une agence de communication travaillait déjà dessus. On voit aujourd’hui le résultat, un site qui est mis en ligne avec 4 ans de retard et qui est truffé d’erreurs ».
Les services du Ministère ont-ils les ressources nécessaires pour construire et surtout maintenir un tel outil ? La réponse est non ! Les mises à jour trimestrielles de la carte sont faites à partir d’exports de la base RAFAEL qui est, elle-même, mise à jour de manière aléatoire par les différents BER. Elles sont effectuées par des prestataires privés qui facturent le Ministère au prix fort.
Il faudrait que la gestion de ce site soit internalisée au Ministère et que les mises à jour soient faites en continue. Cela demande des ressources humaines et surtout une volonté politique. Il faudrait enfin que les biais et les lacunes soient corrigés au plus vite. Le temps presse…
Les mentions légales à revoir également
L’absence totale de mise jour des informations concerne également les mentions légales du site de la sécurité routière. Ces dernières précisent que le directeur de la publication est Emmanuel Barbe… alors que ce dernier a quitté ses fonctions il y a maintenant trois ans.