Depuis plusieurs semaines, la colère gronde au sein des auto-écoles face à la pénurie chronique de places d’examen. Cette colère s’exprime désormais au grand jour ! Une manifestation est prévue le mardi 27 février devant les locaux de la DSR, afin d’exiger des mesures concrètes et rapides.
Une pénurie généralisée
La presse quotidienne régionale en a fait un marronier. Que ce soit dans la Somme, dans le Finistère ou ailleurs, la pénurie de places d’examen touche de nombreux départements. En Île-de-France, depuis près de 4 mois, les écoles de conduite doivent régulièrement faire face à des seuils inférieurs à 4.
Seuil / dépt. | 75 | 77 | 78 | 91 | 92 | 93 | 94 | 95 |
déc. | 3,5 | 3,3 | 4,7 | 6,3 | 3,4 | 2,4 | 3,1 | 2,9 |
jan. | 5,0 | 4,4 | 4,4 | 6,3 | 4,6 | 4,6 | 3,0 | 3,6 |
fév. | 5,3 | 4,5 | 4,0 | 5,7 | 3,5 | 3,6 | 3,3 | 3,1 |
mars | 4,7 | 4,8 | 4,0 | 5,7 | 3,7 | 4,2 | 3,5 | 2,7 |
moyenne | 4,63 | 4,25 | 4,28 | 6,00 | 3,80 | 3,70 | 3,23 | 3,08 |
Lors des réunions de présentation de RDVPermis, les auto-écoles s’étaient vu promettre des seuils compris entre 4 et 5 places par ETP. La présentation fournie par la DSR prenait pour exemple un seuil formateur de 5 pour illustrer le calcul des places.
Les belles promesses se sont malheureusement envolées, la réalité est moins rose. Avec 5 places d’examen par ETP, une auto-école peut travailler sereinement… avec 3,5 places cela est impossible ! L’auto-école est alors face à un choix cornélien : ou bien réduire le nombre d’inscriptions (et mettre sa santé financière en péril) ou alors continuer à inscrire en sachant pertinemment que les élèves seront mécontents des délais.
Ce mécontentement génère des tensions en agence et vient renchérir considérablement le coût du permis de conduire. Pour maintenir leur niveau de conduite, les élèves doivent rajouter entre 6 et 8 leçons par mois. Dans le 93, les délais de présentation sont « en moyenne » de 69 jours (2 mois et demi) en première présentation et jusqu’à 6 mois pour une représentation…
Questionnés par les organisations professionnelles, les BER sont impuissants à trouver des réponses. En bons adeptes de la méthode Coué, ils demandent de « patienter jusqu’en septembre, les choses vont s’améliorer… ».
Des raisons diverses et variées
Il n’existe pas une seule raison pour expliquer la pénurie de places d’examens, mais une conjonction de facteurs qui s’aditionnent les uns aux autres. Nous avons essayé de les lister ci-dessous :
1. Mauvaise gestion des ressources humaines par les BER
Les BER gèrent très mal leurs ressources humaines. Manque de dialogue, absence d’anticipation… Nous avons recueilli plusieurs témoignages d’inspecteurs du permis de conduire (IPCSR) qui vont dans ce sens. Ainsi, certains inspecteurs du 93 se sont vus imposer 3 semaines de congés en décembre pour épuiser leur quota de 2023… alors que le coefficient du département était de 2,4. Les arrêts maladie ne sont pas remplacés, les demandes de mutation sont subies… et non anticipées. Lorsqu’un IPCSR demande à changer de département, son poste reste vacant plusieurs mois en attendant qu’un inspecteur nouvellement formé le remplace.
2. L’effet « Jeux olympiques »
En Île-de-France, tous les regards sont tournés vers les Jeux olympiques qui auront lieu cet été à Paris. Pour faire face à la demande, la RATP et les entreprises de transport forment et recrutent massivement des chauffeurs poids-lourd et de véhicules de transport en commun. Des inspecteurs sont mobilisés pour faire passer ces examens poids lourd en priorité. Problème : le temps de formation des chauffeurs RATP a été divisé par deux… et le taux de réussite aussi. Un nombre important de places d’examen est ainsi « gâché » par manque d’anticipation.
3. Déclarations d’ETP frauduleuses et une absence de sanctions
Face au manque de places d’examen, certaines auto-écoles ont décider de « prendre des libertés » avec leurs déclarations d’ETP : coefficients gonflés, sortie des effectifs non déclarée ou déclarée avec du retard, etc… Une déclaration gonflée permet de récupérer quelques places supplémentaires chaque mois. La DSR avait promis des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de l’agrément… malheureusement, ces menaces sont restées lettre morte et aucun retrait d’agrément n’a eu lieu. La DSR ne dispose que de peu de moyens de contrôle. Les plus optimistes diront que la mise en place du livret numérique devrait changer les choses… on verra !
4. Le retour des robots ?
Depuis deux semaines environ, certaines auto-écoles sont démarchées par des personnes leur proposant les services de robots pour la réservation de places d’examen. Certains d’entre eux sont même allés jusqu’à créer des sites vitrine pour promouvoir leur activité. Moyennant un abonnement de 75€/mois ou 20€ la place d’examen, ils s’engagent à permettre à l’auto-école de réserver des places d’examen au-delà de leur seuil.
Des informations détaillées et des enregistrements ont été transmis à la DSR, mais celle-ci a toujours nié (ou du moins minimisé) l’existence des robots.
5. Le permis à 17 ans et le CPF moto
Dernière piste d’explication, la mise en place en janvier de deux mesures phares : le permis à 17 ans et l’éligibilité des permis moto et remorque au financement par le CPF. Ces mesures n’ont pas d’impact sur les seuils mais elles augmentent le nombre d’élèves à former et donc le phénomène de pénurie.
Les auto-écoles démunies… les BER aussi !
En réponse au manque de places, les auto-écoles d’Île-de-France s’organisent… de différentes façons ! Certaines d’entre elles prennent des places dans des départements limitrophes (comme l’Oise) ou beaucoup plus éloignés. Ainsi, une auto-école du Val d’Oise a prévu de se rendre en Vendée… à près de 500 kilomètres ! Un « tourisme » s’organise autour des places d’examen… mais ce tourisme n’est ni bon pour la planète, ni pour le portefeuille des élèves !
D’autres auto-écoles adoptent une autre stratégie. Elle déclarent tout ou partie de leurs ETP dans des départements limitrophes où les seuils sont plus élevés. Ainsi, elles n’ont pas besoin d’attendre que les auto-écoles atteignent leur seuil pour avoir accès aux places d’examen. Elles peuvent compter sur une règlementation particulièrement floue et un arrêté mal rédigé. En effet, l’article 2 de l’Arrêté du 27 avril 2021 prévoit que « Le système de réservation nominative mentionné à l’article 1er permet : 1° Aux auto-écoles, proposant une offre de formation dans lesdits départements, d’inscrire sur le site « pro.permisdeconduire.gouv.fr » les candidats à l’épreuve pratique de l’examen des catégories A1, A2, B1 ou B du permis de conduire ».
Cet article ne précise pas ce qu’est « une offre de formation » et laisse donc une grande marge d’interprétation. La portée nationale de l’agrément ayant été reconnue par la justice l’administration tolère que les plateformes ayant un point de rendez-vous dans un département et qui déclarent des ETP dans un département puissent obtenir des places dans ce département. Les auto-écoles l’ont compris et font pareil.
Ainsi, une auto-école du 95 (seuil moyen de 3,08 sur les 4 derniers mois) peut déclarer des points de rendez-vous et des ETP dans le 92 (seuil moyen de 3,80 sur la même période).
Dans un mail du 15 janvier 2024 envoyé à l’ensemble des auto-écoles du département, Virginie FICOT, la Déléguée du 92 indiquait le départ de 3 inspecteurs et « 100 ETP supplémentaires » déclarés dans le département. Sa réponse : un exercice d’équilibriste consistant à contacter individuellement les auto-écoles des départements environnants en leur demandant de ne plus déclarer leurs ETP dans le 92… sans réelle base légale.
Cet exemple, parmi d’autres illustre l’impuissance de l’administration qui doit composer avec des règlementations mal écrites et à des acteurs qui s’adaptent plus vite qu’elle. Et lorsque la règlementation est claire, elle ne dispose pas des moyens financiers et humains pour mener à bien les contrôles…
Un système ni transparent, ni juste
La frustration des auto-écoles vient du manque de places d’examen, mais elle est amplifiée par le manque de transparence de l’administration. Lors de la mise en place de RDVPermis, il a été promis un système « plus transparent et plus juste ». Force est de constater qu’il n’est ni plus transparent, ni plus juste.
On voit que d’un département à l’autre les écarts de traitement sont (très) conséquents. Ces écarts touchent les professionnels mais également les « usagers » du service public : en l’occurrence les candidats au permis de conduire.
Les BER communiquent chaque mois sur les seuils B et A. Il leur arrive également de communiquer sur les arrivées et départs d’IPCSR. Ces informations sont utiles, mais cela ne relève pas de « transparence ». La transparence voudrait que soient communiqués chaque mois le nombre d’ETP déclarés et le nombre de places réservées pour chaque auto-école.
Une solution extrême mais qui aurait le mérite de mettre fin aux fantasmes et aux questions du type « Est-ce que mon collègue triche sur ses déclarations ETP ? Est-ce qu’il utilise des robots ? »
Le bon sens voudrait que les inspecteurs ne soient plus cantonnés à un département (surtout en Île-de-France) mais qu’ils puissent être facilement affectés à d’autres départements voisins. Comment expliquer aux auto-écoles du 94 (qui ont un seuil de 3,23) que des auto-écoles du 91 qui sont parfois éloignées de 3 rues ont un seuil à 6 ?
Un appel à manifester le 27 février devant la DSR
La DSR a été interpellée à plusieurs reprises ces derniers mois sur le manque de places d’examen. Face à l’absence de mesures concrètes, une manifestation est prévue le 27 février 2024 devant les locaux de la DSR.
Un cortège s’élancera du centre d’examen de Rosny-sous-Bois à 7h00 et se réunira devant les locaux de la DSR (bâtiment Le Garance au 18/20 rue des Pyrénées 75020 Paris) à 10h00.
Toutes les auto-écoles sont invitées à y participer, qu’elles fassent partie d’une organisation professionnelle ou pas.
Droit de réponse
Par courrier daté du 21 février 2024, l’UNSA SANEER & SR, syndicat représentatif des inspecteurs du permis de conduire, a souhaité exercer son droit de réponse, suite à la publication de notre article sur le manque de places d’examen. Nous le reproduisons ici dans son intégralité.