Lundi 27 mars, la proposition de loi portée par le député de la Vienne (Renaissance), Sacha Houlié a été voté en première lecture par l’Assemblée nationale (consulter le texte de la proposition). Cette proposition de loi a été co-écrite avec Aurore Ferrand Rousseau, gérante d’auto-école à Poitiers
[PermisMag] Bonjour Sacha Houlié, la proposition de loi qui vient d’être votée en première lecture est destinée à rendre le permis de conduire « plus simple, plus rapide et moins cher ». En 2018, le président Macron avait déclaré vouloir faire baisser « drastiquement le prix du permis ». Le rapport Dumas de 2019 a accouché de 10 mesures devant faire baisser le prix du permis de 30%. Dans les faits, le prix du permis a augmenté. Comment est-ce que vous l’analysez ? Ne s’agit-il pas d’un constat d’échec des mesures mises en place par la députée Dumas ?
[Sacha Houlié] Je l’analyse assez simplement. On n’a pas de texte qui soit allé au bout des choses. Ma collègue a fait beaucoup de choses sur la question mais aucune disposition légale n’a été adoptée sur le fondement de son rapport.
En 2019, on se posait la question du permis en termes de prix proposé par les auto-écoles alors même que ces auto-écoles sont des entreprises qui — comme les autres — subissent l’inflation : inflation du prix du carburant, inflation des salaires des enseignants et des charges sociales, augmentation du tarif des voitures, etc…
Cette fois, on a pris le problème différemment. On s’est posé la question du reste à payer pour les consommateurs… et on a essayé de voir comment réduire ce montant le plus possible. On a constaté qu’il y avait beaucoup de dispositifs d’aides qui existaient mais qui étaient méconnus et sous-utilisés.
On a décidé de partir des aides existantes, celles qui marchent. On va mettre en place une plateforme pour permettre de faire connaître ces aides et faire en sorte qu’elles soient utilisées.
On a travaillé sur le CPF notamment qui est l’aide la plus utilisée. On a proposé l’extension de cette aide à l’ensemble des catégories de permis.
Enfin, on s’est penchés sur une question administrative : celle du recrutement d’examinateurs supplémentaires. On a écarté d’emblée la privatisation, parce que ça créerait plus de désordre qu’autre chose dans la mesure où il y aurait des mobilisations et que l’on n’est pas sûr que ce soit constitutionnel d’aller jusque là puisqu’il s’agit d’une prérogative de puissance publique.
Si je comprends bien, il y a un changement de paradigme. Le rapport Dumas voulait faire baisser le prix du permis, vous vous concentrer sur les financements et comment faire en sorte que le consommateur paye le moins possible, sans toucher forcément au prix de la formation.
[Sacha Houlié] C’est exactement ça.
[Aurore Ferrand-Rousseau] Notre enjeu était de faire en sorte que les auto-écoles puissent travailler sereinement. En ce qui me concerne, je ne fais partie d’aucun groupe, d’aucune enseigne, comme 80% des auto-écoles en France. Au final, ce sont nos établissements qui forment l’immense majorité des élèves. On s’est posé la question de savoir comment on pouvait continuer à former ces élèves, sans mettre en péril nos entreprises et en gardant des tarifs accessibles. Notre réflexion a tourné autour de ça.
Le permis coûte cher parce que nos charges ont augmentés, parce que les délais entre deux présentations se rallongent. Dans la Vienne, on a des délais qui vont passer à 100 jours. Tout le monde n’a pas la possibilité de passer en conduite accompagnée ou supervisée… ces gens doivent reprendre des leçons pour maintenir leur niveau et ça a un coût conséquent.
Ensuite, notre réflexion s’est portée sur le CPF. On a vu que c’était un mode de financement qui marchait bien mais qu’il y avait quelques incohérences. Je pense entre autres aux permis remorque. Quand je vois que 80-90% des gens qui viennent faire ce genre de formation le font pour des raisons professionnelles – parce qu’ils sont paysagiste, entrepreneurs du bâtiment, éleveur de chevaux ou autre… – je me dis qu’il est anormal que ces formations ne soient pas financées. Ces gens là ne passent pas leur formation pour transporter leur jet-ski, mais bien pour travailler…
Étendre le CPF à l’ensemble des catégories de permis, les écoles de conduite sont plutôt favorables, avec des réserves pour certaines. Cela va permettre de mettre fin à un certain nombre de fraudes… Est-ce que vous pourriez nous préciser si les formations de 7 heures sont également concernées, formation B96 et formation 125 cm3 notamment ?
A priori ces formations sont couvertes par le texte de loi. La formation B96 est mentionnée à la page 13 du rapport que j’ai rédigé pour accompagner la proposition de loi. Il devrait en être de même pour la formation 125 cm3.
Cette mesure semble aller à rebours des dernières mesures prises par la Caisse des Dépôts et Consignations : la mise en place de l’Identité numérique et du reste à charge d’ici la fin de l’année. Ces mesures tendent à faire en sorte de restreindre l’utilisation du CPF, votre proposition de loi fait le contraire. Avez-vous consulté la Caisse des dépôts et consignations ?
Je vous confirme qu’il y a eu une discussion assez musclée avec le gouvernement pour l’ouverture du CPF à l’ensemble des catégories de permis, car ce n’est pas ce qui était souhaité. On avait étudié la cessibilité du CPF entre les parents et les enfants et on y avait renoncé pour plusieurs raisons :
- Une question de coût (pour la CDC, NDLR) ;
- Une question de lutte contre les fraudes… qui se multiplient sur le CPF ;
- Par rapport au caractère « personnel » du CPF que cette mesure vient remettre en cause ; et surtout,
- Par rapport aux inégalités que cela engendrerait. J’y reviendrai.
Sur cette question de l’élargissement du CPF aux autres catégories de permis. Les modifications sur les modalités d’utilisation du CPF seront prises par arrêté – c’était une demande du gouvernement.
On va également améliorer la lutte anti-fraude avec une meilleure transmission des informations à la Caisse des Dépôts, pour éviter notamment qu’une personne puisse utiliser son CPF pour repasser le permis suite à une annulation.
Sur la portabilité du CPF des parents vers les enfants. Il s’agissait de la mesure attendue par les professionnels du secteur. Vous avez fait part à plusieurs reprises de votre opposition à la mesure. La mesure n’a pas été retenue dans la proposition de loi. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé votre décision ?
J’ai testé l’idée dès le départ. On en avait parlé avec Aurore Ferrand-Rousseau. Il s’agit d’une ligne rouge pour le gouvernement. Pour le coût que ça aurait pour les finances publiques d’une part, et du fait que ça viendrait modifier le caractère personnel du CPF d’autre part.
En ce qui me concerne, et c’est ce qui m’a le plus convaincu, je pense que cette cessibilité aurait un caractère injuste. Aujourd’hui, on a les chiffres, le CPF est le plus utilisé parmi les personnes non-qualifiées, avec des faibles revenues. Dans les familles où les parents sont ouvriers ou salariés peu qualifiés, les parents vont avoir besoin du CPF pour se former eux-mêmes et maintenir leurs compétences tout au long de leur carrière. Ces gens doivent utiliser leur CPF et n’ont pas la possibilité de le cumuler pour le donner à leurs enfants.
À l’inverse, dans les familles dont les parents sont cadres, cadres supérieures, fonctionnaire de catégories A, etc… ces personnes cumulent beaucoup de CPF et n’ont pas forcément besoin de l’utiliser. Ces personnes auraient plus de CPF à transmettre à leurs enfants. On perpétuerait avec cette mesure une inégalité sociale.
Le député Forissier a également parlé du fait d’octroyer uns certaine somme aux jeunes dès 16 ans, une sorte d’« avance sur CPF ». Que pensez-vous de cette mesure ?
On a demandé au gouvernement de travailler sur ce sujet, avec un dispositif qui se rapprocherait de ce qui existe déjà pour les apprentis (aide de 500€, NDLR). On n’a pas retenue la proposition du député Forissier, notamment car nous ne sommes pas en mesure de contrôler les fraudes éventuelles qui pourraient en découler.
D’accord. Parlons à présent de la carte des financements que vous voulez mettre en place et qui devrait s’appeler « 1 jeune, 1 permis ». Là encore, il s’agit d’une excellente mesure. Faute d’information, on sait qu’il y a une sous-utilisation de certaines aides par des personnes qui y auraient droit. On a vu que la carte des auto-écoles gérée par la DSR était très lacunaire. Pour que la carte des financements serve à quelque chose, il faut que les informations soient à jour en permanence. Est-ce que vous avez réfléchi concrètement à la mise en place de la mesure. Qui sera chargé de l’actualisation de ces informations ?
On a prévu une synchronisation entre la plateforme auto-école et la plateforme qu’on voudrait mettre en place. Cette synchronisation a effectivement révélé quelques défaillances sur le sujet. On l’a fait remonter à la DSR.
On voudrait confier la plateforme « 1 jeune, 1 permis » aux équipes qui ont développé la plateforme « 1 jeune, 1 solution ». J’ai déjà échangé avec Thibaut Guilluy et le Haut-commissaire pour l’emploi du gouvernement, qui travaille avec France Compétence. On imagine une plateforme sur laquelle l’élève taperait son code postal et à partir de ce code postal, il aurait accès à toutes les aides disponibles.
On a besoin pour cela de recenser les aides. Cela passera soit par les préfets qui remonteront toutes les aides, dès lors qu’elles apparaîtront sur les budgets, soit par des demandes qui seront faites aux collectivités et qui remonteront ensuite.
Nous sommes assez confiants sur le fait de pouvoir le faire pour les régions et les départements, ce sera un peu plus compliqué au niveau des communes. La commune rurale qui aide 3 jeunes par an à financer leur permis ne fera peut-être pas remonter l’information sur la plateforme. C’est la plus grosse difficulté que l’on a aujourd’hui. Je pense qu’il faudra qu’on sollicite les collectivités… après les élections car c’est généralement là que sont mises en place les aides.
On a choisi le nom « 1 jeune, 1 permis » en échos à « 1 jeune, 1 solution » car cette plateforme a réellement permis de faire baisser le chômage chez les jeunes. La reprise de la déclinaison devrait assurer une communication suffisamment forte pour encourager, par elles-mêmes, les collectivités à déposer leurs aides.
Vous proposez d’avoir recours à des fonctionnaires de catégorie A ou B pour devenir examinateur du permis de conduire… et réduire ainsi les délais de passage entre deux examens. Pourquoi ne pas simplement augmenter le nombre de recrutements au concours ?
[Sacha Houlié] Il y a deux solutions : soit on forme des IPCSR et on leur donne toutes les attributions qui vont avec (c’est-à-dire mener à bien des examens du permis, lutter contre la fraude au code, contrôler les auto-écoles dans le cadre du label ministériel, etc.), soit on forme des examinateurs.
Non seulement la formation des inspecteurs est longue, elle dure 6 mois, mais en plus les inspecteurs ne seront pas dirigés directement vers le passage des examens du permis de conduire. C’est une solution qui a été retenue dans la LOPMI (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, NDLR), avec 100 recrutements d’inspecteurs supplémentaires sur 4 ans.
La solution que nous avons choisie est d’aller chercher, dans la fonction publique d’Etat ou territoriale, des examinateurs. Les avantages sont de deux ordres : d’une part ils ont une formation plus courte de 2 mois et, d’autre part, ils sont concentrés sur les examens du permis de conduire.
À charge ensuite de les faire évoluer et qu’ils deviennent inspecteurs du permis de conduire s’ils le souhaitent. En tout cas, ça permettra de répondre à l’objectif qui est de produire plus de places d’examen.
[Aurore Ferrand Rousseau] J’en ai parlé avec les IPCSR de mon département. Cela permettra aux inspecteurs de se dégager du temps pour mener à bien leurs missions qu’ils n’ont plus le temps de mener aujourd’hui.
Vous avez rencontré les acteurs de la profession, les organisations professionnelles. Vous avez animé une table ronde à Ligugé il y a 15 jours en compagnie de gérants d’écoles de conduite de la Vienne. Ces rencontres ont-elles fait avancer votre réflexion ? Qu’est-ce que vous en avez retenu ?
[Sacha Houlié] Nous avions fait un gros travail en amont. Ces rencontres nous ont surtout permis de valider nos pistes de réflexion. Cela nous a permis de corroborer nos idées. On n’a pas découvert d’idées nouvelles. La question de la cessibilité du CPF est beaucoup revenue.
[Aurore Ferrand Rousseau] L’ensemble de mes collègues que j’ai pu consulter était globalement tous d’accord avec les mesures proposées. On a parlé d’autres mesures, comme le permis à 1€ par jour et son déplafonnement.
Merci pour ces précisions. Est-ce que vous pouvez terminer en nous précisant les prochaines étapes et le calendrier ?
[Sacha Houlié] Il faut que la proposition de loi passe devant le Sénat, nous sommes en discussion pour trouver un rapporteur, j’espère que cela interviendra très rapidement. A partir de là, la proposition de loi pourra être inscrite à l’agenda du Sénat.
Ensuite on a plusieurs cas de figure :
- soit un accord est trouvé avec le Sénat et la loi sera immédiatement votée,
- soit on pourra faire une petite navette parlementaire et la loi sera votée à l’été, vers le mois de juillet ;
- dernier cas, si les choses devaient traîner un peu plus, on imagine une adoption avant la fin de l’année civile, avant le mois de décembre 2023.
Merci beaucoup pour vos réponses !