Nous évoquions le sujet en fin d’année dernière. La DSR a demandé aux organisations professionnelles de réfléchir à une refonte de l’arrêté de 2001, ainsi qu’à celle de l’arrêté du 22 décembre 2009 relatif à l’apprentissage de la conduite. Nous avons eu accès à un document de travail qui fait la synthèse des modifications envisagées.
Pour mieux en analyser les impacts, PermisMag a réalisé un sondage auprès des 12 000 écoles de conduite en activité. Les réponses à ce sondage ont fait l’objet d’une restitution. PermisMag vous présente les mesures envisagées et les conséquences à prévoir si ces dernières étaient adoptées.
Augmenter l’offre de place et réduire les délais
Pour répondre aux demandes des candidats et des écoles de conduite, la DSR cherche à augmenter le nombre de places d’examens pratiques et à réduire les délais de présentation. Pour ce faire, plusieurs options sont sur la table :
- Recruter davantage d’IPCSR et d’examinateurs. Ce sont 100 IPCSR supplémentaires qui ont été recrutés entre 2023 et 2025… soit 0,33 IPCSR / an / département. Sur ce point, les marges de manœuvre de la DSR sont très fortement entravées par des contraintes financières.
- Améliorer le taux de réussite. Il s’agit d’une mesure défendue de longue date par les syndicats d’inspecteurs (notamment SNICA-FO) et qui fait l’objet d’un assez large consensus dans la profession. Une piste envisagée pour y parvenir est d’allonger les formations pratiques.
Fin février 2025, Patrice Bessone (Président national de Mobilians ESR) proposait dans un entretien à Nice Matin de passer à 28 heures le volume minimal des formations : « Il faut passer à 28 heures de cours. Ça fait 34 ans qu’on a instauré les fameuses 20 heures obligatoires, sans les toucher, or la route n’est plus la même. C’est quand même fou que l’on demande 28 heures aux élèves en conduite accompagnée (24 heures de pratique et 4 heures de théorie) alors qu’ils font 3.000km avec leurs parents et qu’on demande 20 heures aux autres avant de les lâcher seuls au volant. C’est le paradoxe français. »
Selon trois sources que nous avons interrogées, cette proposition a été écartée par la Déléguée interministérielle Florence Guillaume car le sujet est « très sensible politiquement ». En effet, comment justifier cette augmentation auprès du grand public alors que le Président Macron s’est toujours présenté en défenseur du « permis moins cher » ?
Dès lors, la seule solution pour augmenter le taux de réussite consiste à mieux encadrer et à « densifier » les formations pratiques.
Davantage de conduite effective
Deux articles de l’arrêté du 22 décembre 2009 sont concernés par la refonte : l’article 4 (qui concerne l’AAC) et l’article 9 (qui concerne les formations classiques). S’ils étaient adoptés dans leur version modifiée, ces articles prévoient que les leçons pratiques ne puissent se faire uniquement au volant :
- d’un véhicule terrestre à moteur ;
- d’un simulateur d’apprentissage de la conduite.
Cela exclut de fait les cours de théorie de la pratique, proposés notamment par les auto-écoles en ligne. Nous y reviendrons.
Le volume minimum d’heures de formation est inchangé, mais la formulation fait l’objet de plus de précisions. Ainsi, les candidats devront effectuer :
Volume minimum de formation | Volume maximal sur simulateur | Volume maximal sur piste privée | Volume minimum sur voie ouverte à la circulation | |
Boîte manuelle | 20 heures | 5 heures | 5 heures | 10 heures |
Boîte automatique | 13 heures | 3 heures | 3 heures | 7 heures |
Comme c’est déjà le cas actuellement, ces volumes minimum d’heures ne s’appliquent pas aux titulaires d’un permis de conduire d’une autre catégorie (hors AM), ni aux titulaires d’un permis étranger.
Quelles auto-écoles seront impactées ?
Ces mesures risquent de concerner trois types d’acteurs, à différents degrés.
Les auto-écoles en ligne et hybrides
Que ce soit Ornikar, En Voiture Simone ou Stych, ces acteurs ont inclus dans leurs formations des cours de théorie de la pratique, sous la forme de vidéos. Par exemple, au lieu de conduire 20 leçons de 60 minutes en voiture, l’élève effectue 20 leçons de 45 minutes au volant, et visionne 20 vidéos de 15 minutes. Cette obligation de réaliser le volume minimal d’heures effectives au volant obligera ces acteurs soit à allonger leurs formations (uniquement pour les élèves présentés en dessous du minimum d’heures effectives), soit à investir dans des simulateurs de conduite.
Les auto-écoles proposant la conduite duo
Il s’agit d’une pratique apparue il y a quelques années et mise en place par un peu moins de 20% des écoles de conduite. Deux élèves se relaient pendant une leçon d’1h30 (45 min. au volant et 45 min. d’écoute pédagogique). Cette leçon est facturée au prix d’une heure à chaque élève.
Un élève qui prend un pack de 20 cours (15 cours de conduite + 5 cours sur simulateur) passera 11h25 au volant (15×45 min.), complétées par 11h25 d’écoute pédagogique et 5h de simulateur. Cela représente 16h25 de conduite au volant.
Pour respecter la nouvelle réglementation, ces auto-écoles devront passer leur forfait en boîte manuelle de 20 leçons à 27 leçons (27×45 min = 20h25). Certaines d’entre elles n’ont pas attendu pour le faire !
Les auto-écoles proposant des leçons inférieures à 60 minutes
Selon notre sondage, seules 30% des écoles de conduite proposent des leçons de 60 minutes effectives. Elles sont 9% à proposer des leçons de 45 min., 20% à proposer des leçons de 50 min. et un peu moins de 40% à proposer des leçons de 55 min.
Prenons l’exemple d’une auto-école qui propose des leçons de 50 minutes. L’élève qui fait 20 leçons en circulation sur voie ouverte passera 1 000 minutes au volant, soit 16,67 heures. Pour respecter la réglementation l’auto-école devra passer ses forfaits à 24 leçons (1 200 minutes). La DGCCRF sera attentive à ce point. C’est notamment pour cette raison que les auto-écoles doivent désormais préciser la durée des leçons (en minutes) dans le nouveau contrat-type.
Enfin, cela risque de poser des problèmes d’un point de vue pratique. Si seules les heures de conduite « au volant » comptent, à quel moment l’enseignant pourra-t-il faire le bilan de la leçon et remplir le livret numérique ? Pendant que l’élève roule (dangereux et contre-productif) ou à l’arrêt en fin de leçon (auquel cas ce temps ne pourra pas être considéré comme « au volant ») ? Comment gérer les quelques minutes entre chaque leçons dédiées au changement d’élève et à l’installation au poste de conduite ? Les vérifications intérieures-extérieures seront-elles considérées comme du temps « au volant » ? La réglementation a du bon, l’excès de réglementation est souvent contre-productive.
Quels impacts à attendre ?
Faute d’avoir des données fiables et de pouvoir anticiper les réactions des différents acteurs, il est compliqué de mesurer avec précision l’impact de cette réforme. Cependant, nous pouvons nous attendre à certaines réactions en chaine.
Augmentation significative du nombre de leçons à produire
Les auto-écoles en ligne devront inclure entre 4 et 7 leçons supplémentaires dans leurs forfaits de base. Cela les obligera à augmenter le prix de leurs forfaits et rendra leurs prix d’appel moins attractifs (Ornikar propose en ce moment un forfait Code + 20 leçons à 639,99€, NDLR).
Certaines auto-écoles qui pratiquent la conduite duo devront augmenter leurs forfaits de 7 leçons. Enfin, les auto-écoles qui proposent des cours de conduite inférieurs à 60 min. devront augmenter leurs forfaits de 3 à 4 leçons… ou passer aux 60 minutes effectives (ce qui, comme on l’a vu, est quasiment impossible d’un point de vue pratique).
Cela se traduira également par une augmentation significative du nombre de leçons pratiques à produire. C’est l’objectif même de la réforme.
Cette augmentation est difficile à quantifier, nous ne nous y risquerons pas. Elle concernera de fait l’ensemble des élèves qui étaient présentés avec moins de 13 heures ou 20 heures effectives au volant. Les élèves ayant déjà un permis d’une autre catégorie (AM notamment et sachant déjà conduire), certains élèves en AAC ayant des facilités, etc…
Aggraver la pénurie d’enseignants de la conduite
Cette augmentation du nombre de leçons à produire interviendra dans un contexte déjà tendu sur le marché de l’emploi des enseignants de la conduite et aggravera la pénurie de main-d’œuvre. Ce phénomène est bien détaillé dans un rapport de l’ANFA de juillet 2022 intitulé Enseignement de la conduite, des tensions sur l’emploi (p. 16). Ce rapport pointe des difficultés de recrutement « entre mars 2020 et octobre 2021, […] 1 800 postes n’ont d’ailleurs pas été pourvus » et une baisse du nombre d’enseignants formés « le nombre de candidats admis au titre professionnel d’enseignant de la conduite et de la sécurité routière (TP ECSR) diminue chaque année. Alors qu’ils étaient 2 200 certifiés en 2017, ils ne sont plus que 1 200 en 2020. »
Une pénurie portée par la démographie. En effet, selon ce même rapport qui cite une étude de l’INSEE, le nombre de 16-24 ans devrait continuer à croître au moins jusqu’en 2033.
La pénurie, décrite dans le rapport de 2022, n’a pas disparue en 2025. Afin d’augmenter les financements alloués aux formations TP ECSR, l’Unidec appelait encore début mars ses adhérents à poster des offres d’emploi sur France Travail.
Une diminution des marges ?
Dans ce contexte, les écoles de conduite devront se livrer à une concurrence accrue pour attirer et conserver leurs enseignants. Cela se traduira par une augmentation des salaires et par une diminution des marges sur chaque leçon dispensée (à tarifs constants).
Pour conserver leurs marges, les écoles de conduite devront soit continuer à augmenter leurs tarifs, soit avoir un recours accru aux simulateurs de conduite. Aujourd’hui, seules 1/3 des écoles de conduite sont équipées de simulateurs.
Une augmentation généralisée des tarifs irait contre l’objectif (irréaliste!) du gouvernement de faire baisser le prix du permis. Elle poussera les élèves les plus précaires à se tourner vers les solutions en ligne low cost. Un recours accru au simulateur serait bénéfique pour les écoles de conduite (qui pourraient augmenter leurs marges tout en cumulant des ETP) mais il n’aura pas d’effet positif sur les taux de réussite. Sauf à affirmer que d’un point de vue pédagogique une leçon sur simulateur équivaut à une leçon en circulation…
Qu’en penser ?
Dix ans après la loi Macron de 2015, l’enseignement de la conduite continue d’être en perpétuelle évolution. La refonte des arrêtés de 2001 et de 2009 aura des conséquences sur la profession dans les mois et les années à venir.
Ces réformes se font en concertation avec la profession – ce qui est positif – mais sans aucune étude d’impact. Faute de données chiffrées et d’analyse sérieuse, rien ne garantit que les réformes proposées atteignent leurs objectifs et qu’elles n’aggravent pas la situation.
Que se passera-t-il si 10% des candidats au permis doivent effectuer 3 heures de plus ? Et si 20% des candidats doivent effectuer 5 heures de plus ? Quelles seront les conséquences en termes d’emploi ? Quel sera l’impact réel sur les taux de réussite et sur les places d’examen ? Quel sera l’impact social d’une telle réforme ?
Personne n’a la réponse ! Les plus touchés seront les élèves des zones rurales (50% des candidats habitent dans des villes de moins de 20 000 habitants). C’est là que vivent les candidats qui passent le permis AM à 14 ans, ces mêmes élèves qui sont aujourd’hui en mesure d’obtenir le permis avec moins de 13h ou 20h effectives au volant. Cette réforme les obligera à payer 3-5 heures supplémentaires et viendra renchérir le coût du permis. On peut se demander si le Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et le Premier Ministre François Bayrou – qui se posait en janvier comme un défenseur du pouvoir d’achat – ont validé ce projet de réforme porté par la DSR ?
On peut également s’interroger également sur la pertinence d’une telle réforme d’un point de vue plus philosophique. Le fait de « graver dans le marbre » que les leçons pratiques ne peuvent se faire que dans certaines conditions définies par arrêté va nécessairement brider l’innovation. Il y a 3 ans, de nouveaux acteurs proposaient la mise en place de lunettes de réalité virtuelle dans les auto-écoles. Cette initiative n’a pas eue de suite. Une innovation de ce type qui émergerait dans les années à venir serait tuée dans l’œuf par cet arrêté.
Enfin, d’un point de vue légal, la refonte envisagée pose question dans la mesure où elle ne prévoit pas de période de transition. Il existe en droit civil un principe de non rétroactivité. Le million d’élèves actuellement en cours de formation ont signé un contrat de formation prévoyant un certain volume d’heures. Comment les écoles de conduite feront-elles pour modifier ces contrats en cas de désaccord de l’élève ? Par ailleurs, selon le contrat-type – revu et amendé par la DGCCRF en novembre 2024 – l’écoute pédagogique fait partie de la formation pratique. Si l’arrêté de 2009 venait à être modifié, ce contrat-type devra à nouveau être modifié…
L’arrêté n’a pas encore été publié, il n’est pas trop tard pour mener une étude d’impact sérieuse et réfléchir, avec la profession, à des solutions alternatives !
Bon article qui met en exergue l’imagination sans limite de nos zélés hauts fonctionnaires quand il s’agit d’inventer des usines à gaz… Ça risque de semer une confusion infernale chez les élèves car si ces mesures voient le jour il va être compliqué de comparer les offres. Il y a déjà assez d’élèves qui se font enfumer par les offres « 20h » des plateformes et hybrides qui sont très éloignées des forfaits « 20h » classiquement proposées. Quant au fait de monter le volume pour escompter une amélioration des taux de réussite, ça relève de la douce rêverie. Imposer 28 ou même 35h minimum et beaucoup en profiteront pour se la couler douce et faire du RMP pendant ses 28/35h comme ils le font déjà avec les 20h actuellement. Le problème du taux de réussite est à chercher du côté de l’humain et ne peut se résoudre que par l’instauration d’un examen payant de façon à créer un effet dissuasif réel.
Il est grandement nécessaire d’augmenter le nombre d’heures des formations boîte auto ou manuelle car nous sommes face à une génération qui présente de réelle difficulté pour l’apprentissage de la conduite. Manque de concentration, d’investissement…
La densité de circulation à progresser. L’incivilité au volant également. Nos jeunes formateurs ont vraiment du mal pour gérer à bien tout cela.